C’est quoi un bon témoignage? Réponse à l’audience.

Les vacances, lundi matin, 17e chambre. Dans cette chambre où d’ordinaire des célébrités attaquent en diffamation, aujourd’hui c’est un inconnu qui se plaint des injures racistes d’un autre inconnu.

 

« J’ai des yeux, c’est pour regarder »

L’accusé doit répondre d’une série d’insultes que M. Ponkou (les noms ont été modifiés) – absent à l’audience – et deux témoins disent avoir entendue de sa bouche : « sale Noir » ici, « tu as la couleur du caca » là.

La présidente rappelle les faits. Monsieur Lonjumeau, qui a un rendez-vous professionnel dans un hôpital parisien, longe la cantine et entend des voix « bruyantes ». Il pénètre à l’intérieur et fixe le braillard, Monsieur Ponkou, que son regard appuyé énerve davantage. « J’ai des yeux, c’est pour regarder… ! » lui lance-t-il alors, avant que les injures ne volent. C’était « pour détendre l’atmosphère » explique-t-il aujourd’hui. Sur la suite des faits les versions divergent, et c’est parole contre parole.

 

« Un animal agressif »

M. Lonjumeau se défend en expliquant qu’il n’a fait que répondre à la grande agressivité, « animale et incompréhensible », de Ponkou. Compensant sa voix mal assurée par des mouvements de bras incessants, il assure qu’il « n’avait jamais vu ça », qu’il ne pensait pas « qu’une telle violence pouvait exister sans que rien ne l’ait déclenchée ». A tel point, rajoute-t-il, qu’il a ensuite porté plainte pour menaces et injures, étant encouragé en cela par deux supérieurs hiérarchiques qui, bien que n’ayant pas vu la scène, lui « confirment » la tendance colérique de Ponkou.

Le procureur est dubitatif : « Je trouve pour le moins curieuse l’attitude des deux supérieurs hiérarchiques qui, n’ayant pas assisté à la scène, ont pu recommander à quelqu’un qu’ils ne connaissent pas de porter plainte contre un de leurs subordonnés. »

A mesure que M. Lonjumeau amplifie ses gestes, les deux assesseurs s’assoupissent. La présidente, elle, reste concentrée et demande par 3 fois quelles ont été les injures ou les menaces de Ponkou et que lui a-t-il répondu. « Il m’a menacé de « m’éclater la gueule », c’est fort comme expression non ?! ». En dehors de ça, pas de souvenirs précis : « J’ai dû donner dans des noms d’oiseaux lorsque le ton est monté, mais rien de raciste. Mais je ne peux rien me souvenir de précis ». Les juges font la moue en lui rappelant que deux témoignages étant à charge contre lui, il serait opportun qu’il retrouve la mémoire.

 

Faire l’avocat ne paie pas

Comme souvent en matière de diffamation orale, les témoignages sont fondamentaux car ils permettent d’invalider l’une des deux versions. En l’espèce, ils le sont d’autant plus qu’il s’agit de savoir si des paroles racistes ont été prononcées, et non d’évaluer le caractère raciste de ces paroles.

Lonjumeau opte alors pour une stratégie risquée qui crispe son avocat : celle de répondre en avocat plutôt qu’en prévenu : « On peut noter, je crois, si on feuillette les déclarations des témoins, que les versions ne sont pas vraiment… en accord. Enfin, si je me souviens bien… » La réponse de la présidente fuse : « Oui oui, on a lu le dossier merci. C’est tout de même étonnant, nous vous interrogeons sur votre version des faits et vous avez peu à en dire, en revanche vous êtes plus loquace quant aux versions des autres ! »

L’accusé, un peu sonné, semble perdu dans ce tribunal. Alors que son avocat lui commande d’aller se rasseoir, la Présidente lui dit que ce n’est pas terminé : sa marche se fige alors, puis sans retourner la tête, ses pieds font lentement le trajet inverse, à reculons jusqu’au pupitre.

 

L’imperfection de la preuve, signe de véracité ?

Le procureur s’appuie principalement sur les témoins directs de la scène, qui rapportent des insultes différentes, mais toutes racistes. Il explique que des témoignages qui ne se superposent pas parfaitement sont paradoxalement un signe de véracité : « je considère que lorsque les versions des témoins ne sont pas parfaitement alignées, elles sont plus réalistes. Des versions trop bien alignées révèlent souvent une collusion entre témoins. » L’avocat de Lonjumeau maugrée. Le procureur demande ce qu’est une bonne preuve : doit-elle répondre à des critères rigoristes réclamant une remémoration parfaite des faits ? Ou doit-elle être soupesée en fonction de l’aléatoire du facteur humain, entre autres une remémoration légèrement parcellaire des témoins et les altérations de cette mémoire liées aux conditions de l’enquête ? Il tranche pour la seconde hypothèse dans la mesure où les témoins ne connaissaient que très peu Ponkou et ne pouvaient avoir été influencés par lui.

Il réclame donc la condamnation du prévenu, mais son casier étant vierge il demande une simple amende.

La plaidoirie de l’avocat se borne à s’élever contre cette analyse en s’opposant formellement : « comment peut-on, sérieusement, déduire une vérité de faits non alignés ? ». C’est pourquoi il s’efforce de déplacer la discussion sur « la douce nature » de son client, un homme « aimant les autres » dit-il. Ici au moins il veut apporter des preuves certaines : « Des preuves concernant la personnalité de mon client, je vous en apporte avec ces attestations de participation à des associations caritatives. » Les juges se regardent un instant. Le prévenu n’a rien à ajouter. Affaire suivante.

20. décembre 2012 par admin
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