«De l’indulgence, de la paix et des soins»
C’est entendu (1). Tribunal de Paris, le 25 avril 2011. Le palais de justice résonne de pas de loin en loin. « C’est les vacances judiciaires ! Y a pas grand chose en ce moment », s’entend-on dire. Ce texte – premier d’une série intitulée “ C’est entendu ”– documente quelques dialogues choisis entre juges, accusés et procureurs dans les comparutions immédiates.
L’architecture du bâtiment est complexe, les murs cachant des couloirs qui permettent aux juges, aux policiers, aux gendarmes et aux détenus de ne jamais croiser le public, depuis la « souricière » (le dépôt en sous-sol du bâtiment) jusqu’aux différentes chambres.
Pourtant la 23ème chambre siège. Derrière l’estrade des juges, sur toute la largeur du mur, des boîtes de classement de dossiers et des paquets de feuilles s’empilent sur une hauteur d’homme. Étonnant mélange du courrier en retard de Gaston Lagaffe et du sérieux des réalités qui se jouent.
Deux jeunes gens flanquent l’imposante procureure derrière son bureau: un garçon et une fille qui ont à peine dépassé les 20 ans, le visage lisse d’étudiants sans histoire, qui verront défiler les vies et les actes d’autrui plusieurs heures durant, du bon côté de la barre ; ils notent, de moins en moins, quelques remarques dans leurs cahiers, la tête dans la main, ou les doigts jouant avec la mèche blonde. Il s’agit en fait de stagiaires. Néanmoins, jamais leur rôle ne sera précisé.
Les comparutions immédiates s’enchaînent.
Anouar M. comparait libre. Un jeune homme grand et mince, qui a « eu 18 ans il y a juste 2 mois » précise son avocate. Il lui est reproché d’être guetteur-rabatteur pour les dealers de crack d’une cage d’escalier de son quartier à Paris, ainsi que de s’être rebellé « en réunion » lors de son interpellation. Le policier a eu 6 jours d’ITT pour deux blessures sans gravités, au genou et à la mâchoire. Celui-ci est présent avec son avocat, qui réclame 1200 € au titre du préjudice, et 390 € pour les frais de dossier. Manifestement le policier s’est fait mal dans la chute avec Anouar lorsqu’il lui a sauté dessus pour l’arrêter dans sa course. Le jeune homme n’a aucune condamnation à son casier judiciaire. Il est timide et embarrassé. Sa voix est à peine audible. Il hausse souvent les épaules et regarde fréquemment ses pieds.
La juge ouvre le dialogue :
- Le procureur n’a pas retenu les violences volontaires sur le policier en revanche ce qui vous est reproché c’est d’avoir pris la fuite alors qu’il y avait un contrôle de police qui s’opérait. Ça, c’est interdit. Et non seulement c’est interdit, mais encore moins de se débattre. Quand on se fait arrêter par un policier ou un gendarme, la loi prévoit que l’on doit s’arrêter, et que l’on doit se laisser conduire, ou emmener. Voilà, euh… en démocratie c’est comme ça que ça se passe… Alors ce qui vous est reproché, c’est donc une rébellion. C’est-à-dire résister à l’interpellation – qui est légitime, hein. Enfin bref. […] Qu’est ce qui s’est passé quand il vous a eu, Mr T. ?
- Ben, il a sauté sur moi, et…
- Et si vous vous étiez arrêté avant, ça aura pas été possible ça ?
- Mais j’ai pas cherché à comprendre, j’ai paniqué ..
- Paniqué ?
- Oui, paniqué, et…
- Mais c’est en plein jour, c’est la police !
Lors de la garde à vue, Anouar à reconnu fumer du cannabis. Il n’y a pas de rapport direct avec les faits pour lesquels il a été arrêté, mais cela a été rajouté dans les délits qui lui sont reprochés : « Vous avez déclaré que vous fumez « environ cinq joints par semaine, et le week-end je ne sais pas, je ne les compte pas. » C’est pour oublier le temps qui passe c’est ça ? Que le temps soit plus léger…? »
Verdict : Anouar sera reconnu coupable de trafic (crack) et d’usage de stupéfiants (canabis), ainsi que de rébellion. La qualification de « rébellion en réunion » n’a pas été retenue. Il écopera de 6 mois d’emprisonnement, si il ne remplit pas 140 heures de Travaux d’Interet Général, et devra verser 800 euros au policier.
Monsieur D. a 62 ans, il vient de sortir de prison – il y a une peu plus d’un mois. Il est hébergé par une association, et est en voie d’obtenir un appartement. Il a des béquilles et est assis dans le boxe des accusé – une gueule cassée, un ton légèrement blasé. Il est accusé d’avoir essayé de volé un pull à 360 € au magasin le Printemps, où il s’est fait prendre par le vigile. Monsieur D. a un casier chargé, et il risque la peine plancher pour récidive.
La juge :
- Vous avez reconnu, vous avez attendu votre avocat pour vous expliquer, mais vous reconnaissez entièrement les faits. Vous vous en excusez, vous dîtes que vous êtes désolé. Pourquoi vous avez volé ce pull monsieur?
- Je ne sais pas, je ne peux pas l’expliquer. C’est vraiment un connerie. Pendant un moment j’ai voulu le remettre. Écoutez, je me suis aperçu que j’ai commis une grave erreur étant donné la situation, je commence à avoir un appartement et tout ça; et je me suis rendu compte que j’ai fait une grave erreur.
- Bon vous avez dit que c’était parce que vous avez des problèmes d’argent et que c’était peut être une pulsion.[...] Sur votre situation personnelle, qu’est ce que vous pouvez nous dire ?
- Eh bien, mon passé n’est pas très glorieux, en effet, mais c’est du passé. Et je pense que, que j’ai payé pour tout ce que j’ai fait, encore que… Voilà, j’ai un problème avec un psychologue, je crois que je devrai voir un psychologue ou un psychiatre, mais à chaque fois que j’arrive à leur portes je ne rentre pas, je…
- Vous n’avez jamais eu d’obligation de soin monsieur ?
- Une obligation j’ai pas, mais je devrai en avoir.(…) j’ai des séquelles de l’armée…
- Vous avez des problèmes de stupéfiants ?
- Non non c’est par rapport à l’armée, j’ai été blessé deux fois, trois balles en l’intervalle de quinze mois, non 4 balles, et on me donnait de la morphine pour la douleur, et après on m’a changé ça en subutex et nexedrine. J’ai été quinze ans dans l’armé, au Liban, en mission, j’ai été blessé.
(…)
La procureure :
- Il y a des moyens assez simples pour aller voir des médecins, indépendamment de toute obligation de soin, on est pas obliger d’avoir une notification de soin pour aller voir un médecin… (Monsieur D. essaye de s’expliquer, on lui demande de se taire) Si par exemple j’ai mal aux dents, je n’attend pas qu’un juge me dise d’aller voir un dentiste, ça paraît cohérent, et si Monsieur D. estime qu’il a besoin de soins, et je veux bien croire que ce soit le cas, il n’a pas besoin qu’un juge l’y oblige.
(…)
- Quelque chose à ajouter Monsieur D?
- Non, je suis d’accord avec mon avocat : de l’indulgence, de la paix et des soins.
Verdict : 3 mois de sursis avec une obligation de soin.
Ce jour là, à la 23ème chambre de Paris, dans beaucoup d’affaires la loi prévoyait des peines plancher pour récidive. La procureure les écarta chaque fois spontanément, leur préférant des peines plus légères, assorties d’obligations complémentaires. Les alternatives – mise à l’épreuve, contrôle judiciaire, travaux d’intérêt général ou obligation de soins – sont toutefois limitées et compliquées à mettre en place en raison du manque de moyens et de suivi. Le Parquet fut aussi réticent à demander la circonstance aggravante de « délit en réunion » invoquée dans le dossier, souvent de manière abusive. Sur ces deux points le tribunal appliqua la même modération dans ses jugements.