« J’étais parti acheter le pain , Monsieur le juge… »
A la 14ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris ce matin la salle est remplie, tous les bancs sont occupés : soutiens d’une affaire douloureuse ; journalistes d’une affaire médiatique ? Non, c’est une classe d’étudiants venue découvrir les correctionnelles.
« J’étais parti acheter le pain , Monsieur le juge… »
Rani explique qu’en remontant en voiture il s’est fait bousculer par un bus. Il embraye, le rejoint, descend au feu et toque au carreau du chauffard « pour s’expliquer ». « Je dis au chauffeur qu’il m’a touché. Il me dit que j’avais qu’à pas être là ! Alors je lui dis : descends de là si t’es un homme ! Et il descend, et il me tape… »
Au final celui qui se plaignait d’avoir été bousculé s’est retrouvé étalé par le chauffeur (qui a l’âge de son fils) : Rani a écopé d’une fracture du nez, de 10 jours d’ITT et d’un suivi en orthopédie. Mais il essaie de se justifier car c’est lui l’accusé – le chauffeur, absent à l’audience, lui est partie civile : car un témoignage rapporte que c’est Rani qui a d’abord frappé le conducteur par la fenêtre. Comme une garantie de son état d’esprit pacifique il rappelle : « J’étais parti acheter le pain , Monsieur le juge… »
Le président interroge Rani : « Donc le témoin ment ? – Nan, j’ai pas donné de coup de poing. – Donc le témoin ment ! – J’ai juste fait le geste « descends si t’es un homme ! » – Répondez à ma question : donc le témoin ment ?! – J’ai pas dit qu’il ment, mais y’a pas eu de coup de poing. » A peine un silence, et le juge enchaîne : « Des questions ? M. le procureur ? – aucune, c’est assez clair. »
« Je pense que ce dossier ne présente aucunes difficultés. »
La jeune avocate de la partie civile déploie à une vitesse étonnante sa longue plaidoirie. Aucune raison d’hésiter : « Je pense que ce dossier ne présente aucunes difficultés. » Essoufflée, elle termine enfin : « Au-delà des coups et griffures, mon client a été profondément blessé. A chaque fois qu’on lui toquera au carreau il aura peur qu’on le frappe… » On respire pour elle.
Pour le Parquet il y a violences caractérisées sur agent du service public dans l’exercice de ses fonctions. C’est grave. « C’est dommage, dommage de ne pas avoir réglé cet accrochage en constat à l’amiable. Mais avec cette attitude imbécile, Monsieur, vous voilà devant le tribunal ! » Pour le procureur cette « attitude » en dit long. « Monsieur a un emploi, 3 enfants, mais pas l’air très stable… Des soins seraient certainement bienvenus. » Il demande des dommages et intérêts pour le chauffeur et du sursis. Et profitant de son réquisitoire, il s’adresse à Rani en regardant le juge : « Et je le préviens, si j’étais amené à le revoir, ce serait en comparution immédiate ! »
« Moi je me pose beaucoup de questions…! »
Après une partie civile soufflante et un réquisitoire grandiloquent, la voix de l’avocate est plutôt tremblante, mais son argumentaire se développe. Elle, au contraire, se « pose beaucoup de questions ». « Dans ce dossier tout tient à un témoignage. Mon client a un casier vierge, un emploi, une famille. Qui a été blessé ? Mon client a eu 10 jours d’ITT. Monsieur le procureur dit : « si vraiment il avait été attaqué il aurait pu porter plainte ». Mais il a porté plainte ! Le chauffeur, au lieu d’utiliser l’alarme silencieuse comme c’est prévu, descend du bus avec un autre passager pour se battre… – un passager qui n’a jamais été entendu. » Elle défend ensuite l’équilibre et la bonne vie de Rani, « attestations à l’appui ». « C’est un malentendu qui a dégénéré… Je demande donc la relaxe. »
A peine une minute passe : « Monsieur, vous êtes condamné à 8 jours d’emprisonnement avec sursis, 500 € de dommages et intérêts à la victime, 21,40 € à la RATP et 80 € de frais de procédure. C’est-à-dire que si vous avez une nouvelle condamnation pénale dans les 5 ans vous irez en prison. Vous avez compris ? »
« … »