Les Déboulonneurs plaident la désobéissance civile devant la Cour d’appel
Le 3 avril la Cour d’appel de Paris recevait les Déboulonneurs pour juger leur acte de « barbouillage » réalisé sur des panneaux publicitaires aux Champs Elysées en 2008. Lors d’actions publiques non violentes ils peignent des messages critiques sur quelques panneaux pour sensibiliser les passants et provoquer un débat public sur l’invasion publicitaire. Les Déboulonneurs avaient obtenu qu’en 2010 le Tribunal de grande instance de Paris prononce leur relaxe collective pour ces faits. Mais le Parquet fit appel pour réclamer la condamnation de cette “violation de la loi”.
Le passage à l’action directe non violente
Alors que la mobilisation antipub a démarré il y a plus de 20 ans les pouvoirs publics n’ont rien fait pour endiguer le flux publicitaire. Les Déboulonneurs, groupe fondé en 2005, décident de procéder à des actions directes non violentes, réalisées à visage découvert pour imposer ce débat dans l’espace public. S’ils sont poursuivis, c’est l’occasion d’utiliser le tribunal comme une tribune. C’est sans doute ce qui explique que le Parquet ne les poursuit qu’à peu près une fois sur dix actions réalisées. Il arrive même que le procureur demande à la fois leur condamnation et une dispense de peine… Le Parquet, sans doute conscient que des réquisitions sévères pour de tels faits seraient très mal perçues, ne peut néanmoins se résoudre à reconnaître la légitimité de la désobéissance civile.
Un débat de société devant la Cour
Mardi 3 avril, après une série d’affaires de vol, de recel et de surendettement, traitées de manière expéditives, vient celle des Déboulonneurs. Maintenant ce sont 8 prévenus qui se pressent à la barre devant la Cour. L’équilibre du tribunal va se modifier. Non seulement les prévenus reconnaissent intégralement les faits, mais ils les revendiquent de surcroît. Les 8 déploient collectivement leur défense face à l’avocat général et aux juges. Leur argumentation, construite et précise, explique la gravité du matraquage publicitaire et de ses effets sanitaires néfastes. Ils dénoncent le lobbying puissant et antidémocratique des afficheurs. Des témoins sont présents pour étayer leur démonstration. Il s’agit de Marie-Christine Blandin, sénatrice EELV, d’un chercheur en neuroscience et de la présidente de l’association Résistance à l’aggression publicitaire – NKM, qui était citée en tant que ministre chargée du Grenelle de l’environnement, n’a pas manqué de se faire porter pâle. Ces témoins apportent une caution institutionnelle au diagnostic critique des Déboulonneurs. Tant sur le plan sanitaire que politique, ils reconnaissent que la désobéissance civile est ici un moyen d’action nécessaire pour faire changer les choses.
Légitimité de la désobéissance civile
Cette fois l’avocat général est plus réservé qu’en début d’après-midi. Il ne pose aucune question : ni aux prévenus, ni aux témoins. Dans son réquisitoire il ne remet en cause à aucun moment la gravité du problème publicitaire, pas plus que les motivations des actions des Déboulonneurs ; il se limite simplement à demander “l’application stricte du droit, une infraction étant une infraction”. Me Bourdon, l’avocat du collectif, peut alors débuter sa plaidoirie en soulignant la “courtoisie” de l’accusation. Il inscrit ensuite leur désobéissance civile dans la lignée de celle de Martin Luther King et du printemps arabe. Sur le plan juridique il défend leurs actions en vertu du droit de “résistance à l’oppression” reconnu dans la Déclaration des droits de l’homme : les juges peuvent, sous certaines conditions, justifier des infractions à la loi en raison de la gravité du danger auquel elles répondent. Il demande ainsi la relaxe en rappelant à la Cour que c’est précisément dans les zones grises de la loi que les juges ont le pouvoir et le devoir de créer du droit par la jurisprudence.
Ce type de défense bouscule le fleuve des audiences et de leurs dialogues réglés. Si ce procès découle du combat des Déboulonneurs contre l’invasion publicitaire, il contribue, sur un second front, à faire avancer la jurisprudence afin que les juges reconnaissent la légitimité de la désobéissance civile. Voilà aussi ce qui se jouera d’ici au 26 juin, jour du délibéré.