« Monsieur le procureur(e) » est une visionnaire
C’est entendu (2). Ce petit matin d’automne, le palais de justice de Paris est morne et humide. Au tribunal correctionnel, plusieurs salles sont vides, d’autres à huis clos ne laissent entrer personne. Seule une procureure, dans une salle sombre, quasi-vide, tente d’animer les débats.
L’audience a maintenant repris pour juger les absents qui ne se sont pas présentés. Le président lit les faits à haute voix.
Le premier a été repéré par la vidéosurveillance d’un parking, tournant autour d’une voiture. La police l’a rapidement interpellé en possession d’un sac d’outils (pince, tournevis) et a constaté de nombreuses rayures sur le véhicule. L’homme a dit se reconnaître sur la vidéo mais a dénié avoir rayé la voiture : « j’étais là pour vider mon sac. » Son casier judiciaire ne fait état d’aucune condamnation. Depuis, il a fait l’objet d’une hospitalisation psychiatrique d’urgence.
- Et son casier ? demande, distraite, la représentante du Parquet.
- Néant. Il n’en a pas, Monsieur le procureur.
- Hmm… parce que quand on voit le type de personne que c’est…
« Monsieur le procureur » a la vue perçante car dans la salle, hormis les bancs vides, on ne « voit » pas grand chose.
Le suivant, Jonathan, 22 ans, avait été interpellé « sous l’empire d’un état alcoolique » distribuant en pleine rue des noms d’oiseaux aux passants comme aux forces de l’ordre. La lecture de ses molles excuses est interrompue par le ton enjoué de la procureure :
-Voyons ! C’est comme un petit garçon dans la cour de récréation qui insulte ses camarades et se défend en disant que son père est policier…
On se demande alors ce que retiendra le tribunal de cet argument du Parquet, jusqu’au moment où on apprend que le père du prévenu est commissaire.
Il est immédiatement condamné à 90 jours amende à 5€. La sanction est clémente, mais la mesure est singulière : s’il paye les 450€ sous un mois il aura une remise de 20 %. Par contre, s’il ne paye pas dans le délai de trois mois il fera 90 jours de prison…
Jonathan avait suscité un « Aaah… c’est bien !» approbateur de « Monsieur le Procureur » lorsque le président avait signalé qu’il avait un emploi: préparateur de colis en intérim. Il faut dire qu’en première partie d’audience les délinquants inactifs ou chômeurs se succédaient les uns aux autres. Le troisième prévenu, lui, avec son office d’agent de nettoyage, décrochera alors un satisfait « eh ben voilàa… ! »
Quatrième absent : interpellé un soir d’été, le chauffeur de taxi revenait d’un pot arrosé avec un ami : deux ricards et quelques whiskys – 1,24 grammes. « C’est pas étonnant que la voiture roule toute seule, hehe… » entend-on encore à la gauche du président qui poursuit sa lecture. Le chauffeur, déjà deux condamnations au compteur pour des faits similaires, le regrette : « je n’aurais pas dû, j’ai pris mon auto par habitude » avait-il dit aux policiers.
- C’est très grave pour un chauffeur de taxi, même s’il n’était pas en service ce soir là. Si quelqu’un avait levé la main, il aurait pu le prendre… « comme il a l’habitude » ! Le Parquet demande par conséquent 6 mois fermes et une amende.
Le président prononce, en plus du retrait de permis déjà effectif, 6 mois avec sursis et 300 € d’amende – il échappe de peu à la prison ferme.
Et pour la quatrième fois « le tribunal, par jugement contradictoire et signifié, condamne » un absent.